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Chronique d'Elle
6 décembre 2007

Un slogan qui fait BANG BANG !

Je me souviens très bien comment l'événement a commencé. Une fin de journée morne, sombre, comme le sont les après-midi de décembre sans neige. Ma collègue vient de raccrocher le téléphone. Elle est pâle, sa voix vacille : Il y a un gars, un fou, qui tire partout. - Où ça ? - À Polytechnique. J'pars d'ici. J'suis enceinte... Des étudiants courent dans le corridor, ce n'est pas un exercice d'incendie. Je les rejoins, mon manteau sur le bras, j'ai oublié de mettre mes bottes. Qu'est-ce que je fais là ? Lionel-Groulx (notre pavillon) est à vingt minutes de marche de l'École polytechnique. C'est absurde.

6 décembre 1989, 16 h 40

Après avoir rôdé autour du Secrétariat général, un homme armé d'un fusil monte au troisième étage, puis redescend au deuxième où il abat une employée, puis il entre dans la salle de cours C-230.4. Il se braque devant les étudiants (48 hommes et 10 femmes), et leur dit de cesser toute activité. C'est une blague ?!? L'homme tire un coup de feu en l'air, ordonne aux étudiants de se séparer, les femmes à gauche, les hommes à droite, puis demande aux hommes de quitter la salle, ce qu'ils font sans protester. L'homme explique aux femmes les raisons de son geste : J'haïs les féministes ! Une des femmes l'interpelle, sans résultat. Il tire une rafale de 30 balles. Neuf des dix femmes sont atteintes, dont six fatalement. Après avoir rechargé son arme dans l'escalier de secours, il revient dans le couloir où il tire sur une étudiante.

À 17 h 20, il descend à la cafétéria. Il vise une femme qui se trouve près de la cuisine et la tue.

Elle s'appelait Barbara Klucznik Widajewicz. C'était une amie de mon copain Richard B. Elle était Polonaise, elle avait 31 ans et venait d'arriver au Canada. Un pays qu'elle n'aimait pas : elle y avait 'suivi' son mari ingénieur en lui faisant promettre que leur séjour serait bref...

17 h 25. L'homme entre dans la salle B-311. Il ordonne aux hommes de sortir, puis abat les femmes coincées dans la salle. Les cris d'une étudiante qu'il vient d'atteindre à l'épaule l'irritent : il sort un couteau de chasse, achève la mourante, puis se tire une balle dans la tête.

Aucun mot, aucune image ne peuvent rendre compte de cet événement qui a commencé bien avant le 6 décembre. La photo de Russell Lee prise à Prague, Oklahoma (U.S.A., 1939) me parle pourtant, à sa manière, de ce drame : c'est la SOUFFRANCE de l'humanité tout entière que j'y lis. Je l'ai choisie pour sa haute dimension symbolique :

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Mortes pour RIEN ?

Qu'avons-nous retenu du massacre de Polytechnique ? de celui de Columbine ? Les meurtres collectifs nous horrifient, certes, mais comment expliquer que le phénomène soit banalisé au point que l'expression TUERIE soit devenue un synonyme de 'méga party', de 'fête orgiaque' ? Une recherche sur le net (ayant pour thème la tuerie de l'École polytechnique) a donné 874 pages comportant l'expression : 'Ça va être de la tuerie'. La première de ces pages, provenant du site Point Gamma, annonce la grande soirée annuelle de l'École polytechnique de France (quelle ironie !). Voici l'extrait textuel :

Ca va etre de la tuerie !!!    Je couvre la soirée pour Soon dc avis au étudiant a ki ca donne envie

En voulez-vous d'autres ? C'est (X) qui organise cette tournée et ça va être de la tuerie non-stop !!! On est impatients d'y être !  ... faut impérativement venir le 7 juillet à Seillans pour le gros festival open air (quel bel anglicisme), on joue avec des groupes d'un peu partout et ça va être de la tuerie !  CA VA ETRE DE LA TUERIE. Bientot THE artist (X) ke j attendais avc impatience sera en concert OUi oui je dis bien en concert a PARIS si jne me trompe...

Au risque de passer pour pessimiste, je termine ce billet par une citation d'une auteure américaine lucide et surdouée, Djuna Barnes (Le Bois de la Nuit) :

Tout est perdu depuis toujours, il ne nous manque que de le savoir.

Hier, un jeune homme de 19 ans a ouvert le feu du balcon d'un centre commercial à Omaha, dans le Nebraska. Bilan : huit morts et cinq blessés.

L'après-midi s'achève, morne, sombre comme le sont, au Québec, les fins d'après-midi de décembre...

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Commentaires
M
Lesquels, Sophie ? Les sources du malaise sont nombreuses... Si on commençait par l'éducation ? Identifier les premières manifestations de misogynie (ça commence tôt!) m'apparaît un bon début.
S
Merci, Flavie, pour ce rappel plus que nécessaire. Tu as raison, donner un sens positif au mot "tuerie" est de bien mauvais goût. Je m'interrogeais hier quand j'ai appris qu'un autre jeune homme avait commis un massacre aux Etats-Unis, pour mourir célèbre, a-t-il affirmé dans sa note d'adieu... Doit-on moins médiatiser ces drames? Enfin, à mon sens, celui de polytechnique est particulièrement horrible, parce que discriminant dans les victimes visées... Il ne faut pas oublier et continuer de chercher des moyens préventifs...
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