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Chronique d'Elle
9 mars 2008

Huguette et 'les fantômes de Walhachin Valley'

En février 1973, l'écrivain Louis Geoffroy dédiait à Guy Côté Lejeune un très beau texte dont seuls quelques fragments ont paru dans Hobo Québec (journal de la contre-culture québécoise). Le texte en question avait été rédigé, l'automne précédent, pendant le tournage du documentaire de Guy Côté sur la compagnie Canada Steamship Lines (Onyx Films). Le peu que je sais de la vie de Louis pendant les années qui ont précédé notre histoire et la seule photo que j'aie conservée du tournage en question me portent à croire que l'automne 1972 fut un des plus beaux de sa courte vie (Louis mourait cinq ans plus tard dans un incendie).

Louis_Geoffroy___1

Commencé à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le film transporte l'équipe de production par monts et par vaux jusqu'au port de Vancouver. Mari Usque ad Mare n'est pas une métaphore : le pays s'étend bien d'un océan à l'autre, et ses plaines, longues, monotones, offrent au regard si peu d'aspérités que le voyageur chasse avec peine les mirages. L'esprit alangui voit enfin ce qu'il importe de voir...

Les fantômes de Walhachin Valley

Nous avions quitté Calgary la veille, tout équipés, armés de pied en cape de caméras, lentilles, Nagras, talent et idées, pour continuer le tournage de ce film corporatif sur les transports par mer et par route que nous nous efforcions de rendre intéressant. (...)

La toundra s'empare de nos pensées comme de ce pays et les ronds de conifères jaunes n'épargnent plus ce qui devient peu à peu un autre désert sous le ciel de nos boîtes crâniennes. Nous avons eu pour survivre l'ingéniosité des colons de la Walhachin et celle des brûlés de l'Abitibi, et les guerres et fatigues ont rompu les digues que notre invention avait érigées contre les avalanches et pour les faire servir, ces avalanches, à notre survie. Les récoltes qui proviennent de la Walhachin sont de plus en plus maigres et quelques boeufs d'abattoir y trouvent encore pitance et broutage entre une saison de neige et une saison de mort...

Il n'y a plus de soldats qui reviennent à la Walhachin; il n'y a plus de soldats qui reviennent nulle part : l'homme s'arrête où l'uniforme commence et à quoi servent tous ces morts ? L'homme, inspiré sans doute du génie de Sekani, Kwakiutl, Nez Percé ou Castor (quel magnifique surnom pour une famille amérindienne dans une histoire de digues, d'embâcles et d'irrigation !), qui avait pensé cet exemplaire système d'irrigation le protégeant de la neige colonisatrice et utilisant cette énergie blanche à transformer l'essence d'une terre désolée (...) La Walhachin, que cent hommes avaient faite verte, redevint jaune et le demeura. La tournure de cette mort devenait incantatoire au-delà des mots de Don et des situations de lieu, et tous les désespoirs d'identité m'assaillaient comme l'intensité de la lumière.

Quand je le traversai, en novembre, ce soleil jaune de 16 heures m'éblouit et je découvris bien que c'était la beauté de sa mort qui m'avait renversé. Je n'avais jamais pensé avoir en moi, traversant l'oeil, tant de pouvoirs sur la nature et sur son destin.

J'en restai bouche-bée et mon cerveau aveuglé comme un immense réservoir à remplir d'ors. Ce décor était celui des musiques rédemptrices qui fouettaient mes sangs, à l'écoute desquelles je m'oblitérais, avec le soleil en plus et le seul soleil pouvant faire exploser cette musique. Aucune photo, aucune image (...) ne pourra jamais rendre la vie à cette lumière de la mort : c'était le feu embrasant Huguette Gaulin sur la Place Vauquelin, la veille où je rencontrai Mingus pour la première fois à l'Esquire Show bar et où il me joua un blues d'un humour tout à fait kébèkois; c'était le feu de cet intense soleil irradiant du matin de Claude Gauvreau sur la Terrasse Saint-Denis.

Et plus tard, je me questionnai, méditatif, pourquoi cette horrible splendeur de nos suicides ?

Louis Geoffroy

Huguette_Gaulin

Que serait devenue Huguette Gaulin si...

... elle ne s'était pas immolée par le feu en 1972 ? Pour Rachel Leclerc (Lettres québécoises), 'il apparaît évident que l'auteure de 'Lecture en vélocipède' aurait superbement côtoyé une Nicole Brossard - pour ne nommer que cette auteure d'une semblable influence... - et que son écriture aurait continué à nous pousser vers la modernité'. Les hommages posthumes ne servent à rien (par définition, ils arrivent trop tard), mais ils ont le mérite de donner à un auteur la place qui lui revient dans le corpus littéraire. Huguette Gaulin mérite la meilleure. C'est une poétesse authentique (ils sont rares !), sensuelle, drôle, novatrice (connaissez-vous le 'mergule' et les 'gneiss', demande Leclerc), grave, tourmentée et d'une lucidité terrible. Elle est cette enfant d'un roman dont j'ai oublié le titre et le nom de l'auteur qui meurt d'avoir vu ce qu'elle ne devait pas voir...

des espèces humaines sortent de leur toile / et sur les balcons hurlent / une guerre intérieure de Guernica

Les Herbes rouges viennent d'accueillir dans leur collection 'Enthousiasme' l'oeuvre d'Huguette Gaulin, consacrant un peu tard une auteure dont l'ultime cri - Vous avez tué la beauté du monde - résonne et résonnera encore longtemps dans nos léthargies.

Huguette_Gaulin

Pour la 'petite histoire' je cite cet extrait de l'entrevue que Luc Plamondon accordait à Didier Fessou, après la sortie de son livre Paroles de Plamondon (Le Soleil, 12 novembre 2005) :

Fessou : En fin de livre, il y a une référence : si je devais n'en garder qu'une. Et cette unique chanson, c'est Hymne à la beauté du monde. Est-ce votre chanson préférée ?

Plamondon : Ce n'est pas tellement ma chanson préférée. J'ai répondu celle-là le jour où on me l'a demandé, mais j'aurais pu répondre autre chose.

Fessou : Qu'a-t-elle de particulier, cette chanson ?

Plamondon : C'est une histoire intéressante. Un beau message. Surtout par les temps qui courent. Elle a été écrite en 1973 pour Renée Claude.

Fessou : Racontez.

Plamondon : La poétesse Huguette Gaulin s'est immolée par le feu place Jacques-Cartier. À 17 heures, en plein été. Devant les clients de l'hôtel Iroquois. Elle a crié : 'Vous avez tué la beauté du monde'. Quand j'ai lu ça dans le journal, le lendemain matin, j'ai eu envie d'en faire une chanson. Diane Dufresne l'a reprise en 1980 et l'a chantée au Forum le soir de l'assassinat de John Lennon, le 8 décembre. Isabelle Boulay l'a reprise en 2001 à Paris, au Zénith, avec une chorale d'enfants. Un mois après les événement du 11 septembre.

Fessou : Cette chanson aurait-elle un destin ?

Je serai franche : Plamondon me laisse indifférente, mais je lui rends justice de cet hommage à Huguette Gaulin.

Il se fait tard, de plus en plus tard. De grâce, ne baissez pas l'abat-jour, lisez plutôt 'ce qu'il reste d'ELLE' :

spatieux portiques gantés d'arêtes / l'aquarium insère entre le suède du crâne / l'exasquelle / ses sociétés séductrices / que les déroulements de portes / mélancoliques n'interviennent / lors les enfances / doucement / déplacent les sucres

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Commentaires
C
Merci.
M
Très sensible et très touchant pour moi, ce billet. Merci.
S
... Je ne serai pas très originale et te dirai simplement merci. Je ne connaissais pas cette auteure. Il faudra que je me rappelle de partir à la recherche de ses textes. Merci aussi de nous partager le magnifique texte de Louis Geoffroy...
Chronique d'Elle
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