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Chronique d'Elle
19 juillet 2008

Splendeur et tremblements (8)

Kunming : le choc

Il est relativement tard, nous sommes fatigués, nous avons hâte (Sophie, plus que nous, je pense) de voir la tête de notre nouveau guide. Jeune, beau, sympa ? Un jeu de spéculation commence d'après le 'menu' qui s'offre à nous : des voyageurs chinois pour la plupart, quelques individus venus chercher un parent ou des amis, des employés de l'aéroport, bref, personne qui ressemble à l'idée que nous nous faisons d'un guide... Jusqu'à ce que Sophie se dirige, le pas souple, sourire aux lèvres vers un jeune homme aux traits fins, d'allure sérieuse, un brin hautain. Ils discutent, elle vient nous chercher : 'C'est lui !' Alors ? Dis-nous ! Pour toute réponse, Sophie rougit et sourit. On a compris : elle le trouve mignon, enfin, pas mal. C'est un bon début.

Notre guide s'appelle Yangze (prononcer Yantsé, comme le fleuve). Il a un prénom français, comme tous nos guides, mais nous préférons l'appeler Yangze. Plus tard, pour des raisons que vous comprendrez, quelqu'un du groupe l'appellera 'le petit fleuve'.

Pour le moment, l'autocar file à bonne allure. Comme nous entrons dans le coeur de la ville, quelque chose d'inattendu, d'inquiétant (oui, j'ose le mot) attire mon attention. Sur le trottoir de l'avenue menant à notre hôtel, deux lits aux montants rouillés, placés côte à côte; sur les lits, à même les matelas, vêtus uniquement de leurs sous-vêtements, dorment un homme et une femme.

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Cette photo, prise sur le Net, montre l'endroit approximatif où se trouvaient les lits, à droite.

Yangze nous apprendra demain que ces personnes, alertées par le deuxième tremblement de terre survenu la veille, préféraient dormir dehors.

Le Yunnan : au sud des nuages 

Le Yunnan partage ses frontières avec le Vietnam, le Laos et la Birmanie au sud, et le Tibet et le Sichuan au nord. Cette situation géographique l'a isolé, jusqu'à une date relativement récente, du reste du pays. Son histoire, les diverses origines de sa population (le Yunnan compte 25 minorités ethniques) et sa culture sont uniques en Chine. La plupart des autochtones parlent leur propre langue, ont leur propre costume qu'ils portent tous les jours, leur propre religion, leurs mythes, leurs fêtes. Conscient de la richesse culturelle que les minorités ethniques représentent pour la Chine, le gouvernement leur octroie des avantages sociaux, politiques et culturels : préfectures autonomes, quotas d'entrée à l'université, limitation des naissances relevé à 2 enfants (3 pour les Pumi), financement des fêtes traditionnelles, etc.

L'histoire du Yunnan est de celles qu'on raconte aux adolescents - elle contient tous les thèmes qu'ils adorent, et elle est véridique, de surcroît. Yangze se veut sérieux, mais son sourire, quand il parle des barbares qui habitent les régions près du fleuve Rouge, se transforme en éclat de rire. Lui, il habite Kunming, la partie 'civilisée' du Yunnan (14e rang des villes chinoises pour son économie, huit universités, etc.). Comment faut-il l'entendre ? Il blague ? Bien sûr...

Yangze a une voix douce, son français est presque impeccable, mais son topo historique est long. Je n'en retiens que l'anecdote expliquant l'origine du mot Yunnan. Le nom aurait été donné à la région par l'empereur Tang (dynastie régnante de 618 à 907), à la suite de la visite à sa cour d'un prince venu d'un 'pays lointain du Sud, au-delà des pluies du Sichuan.'L'empereur décida de nommer cette principauté Yunnan, qui signifie littéralement le 'Sud des nuages'.

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J'ai pas choisi, mais j'ai pris la plus belle

La plus belle région ? On ne le saura jamais, puisque le Sichuan nous est interdit. Mais assurément l'une des plus intéressantes. Pour Sophie, qui se dit 'moitié Mandchoue, moitié Shanghaienne', le Yunnan, c'est la Chine profonde. Une Chine pas encore contaminée - du moins, pas complètement - par la modernité. Une Chine à respirer (oui, ça 'sent'), à contempler, à escalader (le Yunnan est une région hautement montagneuse), une Chine qui incline à l'humilité (oublions d'où nous venons), une Chine butineuse, acharnée... Une Chine à interroger. Ni che che - qui es-tu ?

Jianshui : le silence d'abord

Mardi, 20 mai. Nous roulons depuis près d'une heure en direction de Jianshui. Yangze a entrepris de nous raconter une blague, histoire de nous détendre. On ne l'entendra pas. Une auto, puis une autre, un camion, tout ce qui roule sur l'autoroute se met à klaxonner. Un bruit sourd, mais constant. Yangze monte le volume de son micro : 'Il est 14 h 28, toute la Chine observe en ce moment trois minutes de silence en mémoire des victimes du tremblement de terre au Sichuan. Les sirènes des usines raisonnent dans toutes les villes... Recueillons-nous, si vous le voulez.'

Bien entendu, nous nous taisons au-delà des trois minutes.

On apprendra, plus tard, qu'une rescapée sexagénaire a survécu après être restée huit jours ensevelie sous les décombres 'en buvant de l'eau de pluie'. Et que le relais de la torche olympique sera suspendu pendant les trois jours de Deuil national, du 19 au 21 mai... Un bien court intermède !

...puis des images

Yangze, méthodique, nous emmène d'abord voir la Tour face au soleil qui protégeait la ville... au 14e siècle. C'est une simple porte percée dans un mur, dont il ne reste qu'un tronçon, et surmontée d'un pavillon à trois étages. J'y trouve peu d'intérêt, préférant la place qui l'entoure. Les vieillards de Jianshui s'y rassemblent chaque jour pour jouer aux cartes, au mah-jong, fumer la pipe à eau...

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À propos de pipe à eau

La pipe à eau est généralement faite en bambou (parfois en métal). Les hommes la fument accroupis, la bouche enfouie dans un long tube rempli d'eau qu'ils tiennent d'une main, en aspirant la fumée du tabac, lequel est introduit et allumé de l'autre main par un bec en métal situé à mi-hauteur du tube.

Un fumeur, amusé par notre curiosité, propose à l'un de nous d'essayer son 'truc'. Isabelle se risque. Attention : fumer la pipe à eau n'est pas évident. Il faut aspirer en douceur, la bouche placée de biais, pour éviter d'inhaler une trop grande quantité de fumée...

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C'est à peu près ça, enfin, pas tout à fait. Mais on manque de temps pour améliorer la technique, et le tabac du Yunnan, c'est pas du blond mentholé !

Barbares, eux ?

L'eau de lessive coule jusque sous nos sandales, l'odeur du tofu et des légumes mis à cuire sur le gril nous saisit, relayée par d'autres senteurs, difficiles à identifier... Des familles exposent, malgré elles, leur vie intime. On regarde tout, on photographie tout. Ils se laissent faire, indifférents, parfois agacés, souriant malgré tout à l'objectif qui viole leur intimité. Des barbares, eux ?

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Une paire de chaussures oubliée, ou mise à sécher, nous émeut... le temps d'un clic.

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Et nous rentrons par la rue 'aux flamboyants' - juste à côté. Des boutiques de vêtements griffés et de gadgets électroniques, des restos branchés, une musique pop à la chinoise, des aigrettes sculptées dans le pavé, des boiseries peintes, des cloisons ouvertes sur des salles à manger chic, des lanternes...

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La civilisation, quoi !

À SUIVRE

 

 

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Commentaires
G
Tes textes sont aussi très instructifs. Je continue le voyage avec toi.
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