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Chronique d'Elle
20 août 2008

Splendeur et tremblements (14)

Sieste et farniente

Samedi, 24 mai. Nous devions rentrer à Kunming en deux temps. Sur la suggestion de Linda, nous ferons le trajet en une seule journée. Sept heures d'autocar au moins. L'endroit choisi par Yangze pour la pause du midi est magnifique. Il s'agit d'une ancienne résidence d'un gouverneur local transformée en petit hôtel de charme. Loin du tumulte des marchés, de l'indigence des villages, la maison et ses cours affichent un luxe ostentatoire. Difficile d'oublier qu'en ses murs résidait, il y a 500 ans, une famille privilégiée dont le maître avait des droits absolus sur les paysans du district.

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 Pendant que nous farnientons au balcon...

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Yangze profite du confort d'une des chambres pour récupérer. S'est-il vraiment assoupi ? Il affirme que non, Sylvie et moi prétendons le contraire. La preuve :

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« Alors que c'est l'hospitalité qui caractérise les ethnies minoritaires du Yunnan, c'est la langueur qui qualifie le mieux les habitants de Kunming. » (Yang Hongyan)

Kunming et les Japonais

Entré dans le giron chinois lors des conquêtes mongoles (au 18e siècle), le Yunnan est demeuré isolé du reste du pays en raison d'un terrain montagneux qui en rendait l'accès difficile. C'est l'achèvement en 1910 de la ligne de chemin de fer par les Français entre Kunming et Haiphong, au Vietnam, qui a favorisé son expansion. Deux ans plus tôt, Kunming avait été ouverte au commerce étranger alors sous le contrôle français.

Lorsque les Japonais envahissent la Chine en 1937, de nombreux Chinois riches s'enfuient à Kunming. Des usines et des instituts de hautes études y sont déplacés, et la ville se développe rapidement. L'expansion se poursuit sous la République populaire, mais du fait que Kunming ait été jadis un bastion des nationalistes, son élite est suspectée de déviationnisme. On imagine les tracasseries, les purges dont elle a été victime. On imagine seulement, car les questions politiques ne sont pas à l'ordre du jour.

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Hergé, Les aventures de Tintin, LE LOTUS BLEU

Autour de Kunming

Shilin : la Forêt de pierres

Les rochers de ce site immense (26,000 hectares dont seulement 80 sont aménagés) ont été creusés par la dissolution chimique due à l'infiltration des eaux de pluie à travers les failles d'un calcaire très épais. La découverte de fossiles d'animaux marins font remonter à 270 millions d'années la formation de roches sous la mer. Les mouvements de l'écorce terrestre ont peu à peu fait émerger ces roches qui constituent aujourd'hui la forêt pétrifiée. Les Chinois ont baptisé un bon nombre des piliers d'après ce qu'ils évoquent : l'éléphant, les oiseaux qui se donnent la becquée, la mère et l'enfant... Pudiques, ils ignorent les formes phalliques, du moins officiellement (non, je n'ai pas de photos).

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De nombreuses aires à pique-nique ont été aménagées dans les cavités des rochers. Pour le mobilier - parfaitement ergonomique - une seule matière première, grossièrement polie, inusable. Quant au casse-croûte, pas de problème : il n'y a rien de plus frais qu'une grotte (enfin, le fond d'une grotte) !

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Les pierres ne sont pas les seules beautés naturelles de Shillin. Les jeunes filles Sani préposées à l'accueil des visiteurs sont parmi les plus belles que nous ayons vues jusqu'ici...

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... mais elles détestent qu'on les photographie sans les payer. La conductrice de notre petit train s'est montrée plus coopérative.

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Tu touches, tu épouses.

Les petites cornes qui ornent le dessus des chapeaux des Sani renseignent sur le statut des jeunes femmes : les cornes pointées vers le haut signifient qu'elles sont célibataires; rabattues, elles indiquent qu'elles sont mariées. Il est interdit de toucher les cornes sans y être invité : 'Tu touches, tu épouses !'

Le jeu favori des touristes : se déguiser en SANI

Et ils paient pour ça ! Il faut dire qu'Yvan a fière allure en guerrier et que Sophie joue le jeu avec une grâce incomparable :

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Manquerais-je de fantaisie ? Je préfère me laisser croquer sans déguisement (on l'entendra comme on voudra) :

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Ah, les temples...

Taoïste, bouddhiste, doré, ocre, avec ou sans bambous, on aura vu tous les temples incontournables de la région. On aura monté et descendu un nombre incalculable de marches. On aura respiré plus d'encens qu'un poumon mal entraîné peut absorber. On aura allumé des bougies...

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...jeté des pièces de monnaie dans l'eau trouble des vasques - en faisant un voeu, comme à la fontaine de Trévi.

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Le grand mérite des temples, c'est qu'on peut s'y reposer.

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Mon préféré : le Temple des Bambous

Premier temple construit après l'introduction du bouddhisme Zen dans le Yunnan en 1279, le Temple des Bambous a été plusieurs fois reconstruit sous les Ming et les Qing. Situé sur la colline Yuan, il est aujourd'hui habité par une petite communauté de bonzes. Sa célébrité provient de ses 500 statues (arhats) en argile, grandeur nature. Le sculpteur Li Guanxiu et ses disciples ont mis sept ans à réaliser ces personnages inspirés des fidèles venant prier au temple. Nous sommes loin ici de la statuaire chrétienne : les arhats, tout comme les personnages qui accueillent le pèlerin moderne, n'incitent pas au recueillement, mais à la bonne humeur. Le rire serait-il une vertu bouddhiste ?

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La technique de concentration de ce bonze est vraiment rodée, ou alors c'est un sacré comédien...

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Kunming : la ville

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La capitale du Yunnan est longtemps restée une capitale provinciale. Ce n'est plus le cas. La cité du 'printemps éternel' connaît depuis vingt ans une profonde mutation au détriment de ses vieux quartiers qui avaient, selon Yangze, beaucoup de charme (son quartier musulman très typique a été rasé en 2006). Les petits métiers, les gargotes, les marchés sont pratiquement en voie de disparition. Quelques rues préservées autour du marché aux fleurs et aux oiseaux ont conservé leurs maisons de bois laquées de rouge et de noir.

La plus imposante est la pharmacie qui se trouve à l'angle des rues Wenmiao et Guanghua. Les comptoirs, les murs couverts de tiroirs, le vieil escalier qui conduit à l'étage sont tous en bois sombre. L'endroit est mal éclairé et exhale une odeur composée des milliers de senteurs s'échappant des bocaux. Les vitrines regorgent d'objets intrigants, repoussants même : insectes, serpents, hippocampes, crapauds, tortues, scolopendres, oeufs de toutes dimensions, plantes séchées, racines de ginseng conservées dans l'alcool... Bref, tous les les ingrédients de la pharmacopée traditionnelle, car la médecine chinoise, influencée par les idéaux confucianiste et taoïste, s'appuie sur les vertus curatives de nombreuses plantes, substances minérales et animales. Mais la tradition perd du terrain. Depuis que la République populaire a mis fin à la concurrence entre les approches occidentale et chinoise en intégrant les deux pratiques, les Chinois ne consultent un médecin tratitionnel que pour les cas de pathologies mineures; pour les problèmes graves et urgents, ils choisissent un médecin soignant à l'occidentale. C'est plus cher (comme dit la pub), mais c'est plus que du bonbon...

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Plusieurs maisons du vieux Kunming ont été restaurées en salons de thé ou en superbes restaurants ombragés de platanes. C'est dans la cour carrée de l'un de ces restaurants que Linda, Réjeanne, Micheline et moi, devançant le groupe, iront déguster une, deux, trois bières... Et nous défouler.

Car Yangze, pour des raisons connues de lui seul, nous impose un détour pénible. La chaussée de la rue que nous empruntons est défoncée, l'air rempli de poussières, les boutiques offrent la camelote habituelle, seules quelques échoppes d'artisans méritent qu'on s'y attarde. Décidément, le vieux Kunming a perdu des plumes. D'ailleurs, de plumes, on n'en voit pas. Où sont les oiseaux promis ? Les camélias, les orchidées ? Je rouspète : il est où ce fameux marché aux fleurs et aux oiseaux ? Pourquoi faut-il absolument emprunter cette rue ? Elle est nulle, cette rue ! Yangze sourit, comme toujours, et de sa voix égale, douce, tente de me calmer : juste à côté, patience, on y arrive.

Ils y arriveront sans moi, car j'ai de sérieux doutes sur les mérites du marché en question. En fait, à l'instar d'Alice (Lewis Carroll), je me demande si ce marché vaut les efforts qu'il faut déployer pour l'atteindre. Les rares photos disponibles sur le net montrent des éventaires de fleurs, des cages remplies d'oiseaux, de poules ou de chiens, des bassines contenant des choses nageantes ou rampantes, des pièces d'artisanat fabriquées en séries... Images convenues, ratées pour la plupart, et auxquelles manque l'essentiel : la chaleur de cette après-midi de printemps, les sons cacophoniques, les effluves...

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Honnêtement, je ne regrette pas mon choix. L'air est bon sous les platanes, et la bière (après avoir longuement parlementé avec la serveuse qui ne comprend pas ce qu'on lui demande) nous est servie à peu près fraîche. Le souper, quant à lui, restera une énigme :

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Qu'a le Yunnan que les autres n'ont pas ?

Les 'Nouilles qui traversent le pont'

Je n'arrive pas à me souvenir de l'endroit ni du jour où elles sont apparues pour la première fois sur notre table...

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Table ronde, dite 'classique', que l'on trouve partout en Chine. Le plateau central sert à déposer les plats. Chaque convive se sert en faisant tourner le plateau dans le sens des aiguilles d'une montre.

Ces nouilles de riz 'qui traversent le pont' sont une spécialité du Yunnan. Selon la légende, le plat a été créé sous la dynastie des Qing par l'épouse d'un lettré qui passait ses journées dans une île au centre d'un lac à l'extérieur de la ville Mengzi (dans le sud du Yunnan). À cause du long trajet parcouru, les nouilles étaient toujours froides quand l'épouse arrivait dans l'île - c'est-à-dire 'au delà du pont'. Un jour, l'épouse trouva le potage au poulet encore chaud quand elle le donna à son mari, grâce, croyait-elle, à l'huile qui le recouvrait. Elle y vit un moyen de garder le plat chaud. Dès lors, elle prépara du bouillon clair en le couvrant d'huile de poulet et le réserva. Dans un autre bol, elle déposa des nouilles de riz cuites et des émincés de volaille. Désormais, quand son mari voulait manger, elle jetait les nouilles de riz cuites et le poulet dans le bouillon clair : les nouilles étaient ainsi toujours chaudes et délicieuses.

Ce que la légende ne dit pas, c'est la gymnastique que la dégustation d'un tel plat impose. Les 'nouilles qui traversent le pont' sont longues, longues... et le bouillon, forcément bouillant. Y plonger les nouilles et les ingrédients de son choix ne pose pas de problème, mais les attraper avec des baguettes sans s'éclabousser ou se brûler tient du prodige. La vertu et l'orthodoxie n'étant pas mon fort, je m'en suis tenue à mon couvert favori : la fourchette et la cuillère. Et j'ai mangé 'chaud'... contrairement à mes compagnons de voyage.

Le Pu'er

Bien qu'il soit distribué partout en Chine et en Occident, le thé Pu'er, rare et cher ailleurs, est bon marché dans le Yunnan. Thé des empereurs Ming, et aujourd'hui le thé des gens riches, le Pu'er est produit dans la région du Xishuangbanna, au Yunnan. C'est un thé noir (rouge pour les Chinois) cuit à la vapeur et fermenté. Il se présente en feuille séchée ou sous diverses formes : brique, galette, nid, etc. Sa qualité varie selon les feuilles utilisées (petites feuilles nouvelles ou grandes feuilles grossièrement triées) et son âge (de un à cent ans). Comme le bon vin, s'il est conservé dans les conditions optimales favorisant la fermentation, le Pu'er se bonifie avec le temps, et son prix est proportionnel à son âge.

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Galette de Pu'er 

À la demande d'Isabelle qui ne jure que par le Pu'er, Sophie a fait ajouter à notre programme une dégustation de thé. Les démonstratrices sont jeunes et espiègles, l'ambiance détendue.

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Quant au thé, n'étant pas amateure, je me fie à ce que les spécialistes en disent : il n'est pas amer, il a un goût très 'terroir'; l'infusion est d'un rouge presque noir, et la même dose de thé peut être infusée plusieurs fois sans qu'elle perde sa saveur. Le Pu'er est sensé avoir des propriétés diurétiques, amaigrissantes, anti-cholestérol et digestives. De surcroît, il renferme très peu de théine. Mais je n'aime pas le thé...

Le bébé qui fait pipi

Un gadget amusant qui a pour fonction de tester la température de l'eau. On plonge 'l'enfant' dans l'eau bouillante, on le sort du bocal. Selon l'ampleur du jet d'eau, on saura si celle-ci est trop chaude ou adéquate pour l'infusion du thé.

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Le bébé 'testeur' (immergé dans le bocal à droite) est moulé dans de l'argile rouge. 

Étant de ceux qui n'ont pas acheté de thé, je n'ai pas droit au 'bébé qui fait pipi'. Mais Sophie, arguant de la quantité et du prix des achats faits par le groupe, obtient pour chacun de nous le cadeau d'usage. Ma fille Chloé héritera du mien. Elle y a droit d'une certaine façon puisque c'est elle qui a fait connaître le Pu'er à Isabelle.

Kunming « miscellaneous » 

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Champ - contrechamp (photo Yvan Saint-Pierre)

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Détente 1 (photo Sylvie Capistran)

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Détente 2 - SYLVIE  s'initie à la danse en ligne chinoise

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Détention (photo Lyse Labelle)

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« Shadows on the wall »

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Sourires non exportables (photo de droite Yvan Saint-Pierre)

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Parc du lac d'Émeraude... qu'il aurait fallu voir

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Belle de nuit

L'énigme Yangze

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Photo Lyse Labelle

26 mai. Notre voyage au Yunnan s'achève où il a commencé : à l'aéroport de Kunming. Pour la première fois nos sentiments à l'égard de notre guide sont partagés. Certains d'entre nous (la majorité) regretteront Yangze. D'autres en garderont un souvenir mitigé. L'une de nous est catégorique : 'le petit fleuve' a la plus mauvaise note de tous nos guides. Trop rigide, pas suffisamment à l'écoute des besoins du groupe, condescendant. Yvan, plus modéré, s'interroge sur la 'ferveur professionnelle' de Yangze, et moi, sur ce qui se cache derrière son sourire.

Bref, Yangze est l'image même de la Chine : une énigme...

À SUIVRE

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