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Chronique d'Elle
2 septembre 2008

Splendeur et tremblements (15)

Xi'an

Cachez ce ciel que je ne saurais voir

Une lune misérable éclaire un champ parsemé de tentes bleues. Sous ces abris temporaires dorment des travailleurs venus des régions voisines du Shaanxi, une main d'oeuvre très recherchée par les entrepreneurs immobiliers de Xi'an, mais gardée 'extra muros' pour éviter qu'elle se fixe dans la capitale. Il a plu récemment, et le sol détrempé luit à peine. Le ciel lourd touche la terre en un point indiscernable. L'ensemble est brun, ocre, gris, terne. Et le demeurera bien après le lever du jour.

À Xi'an le ciel n'est pas bleu mais d'une couleur indéfinie résultant de tous les tons de gris et de jaune mélangés. Bref, Xi'an est la ville la plus polluée que nous ayons vue jusqu'à présent. Olivier (notre guide local) se veut rassurant : 'C'est l'humidité, ça ne va pas durer.' Olivier est sympathique, et son sourire désarmant. On feint de le croire, on se croise les doigts en sachant que ce n'est pas la peine d'espérer un miracle : le filtre brun sale fait partie du décor.

De toute façon, le décor compte peu. La vieille cité impériale (capitale de la Chine sous la dynastie des Tang, 618-907) abrite la Huitième merveille du monde : les fameux geurriers de Qin Shi Huangdi. Réveillée 'par hasard' en 1974 par des cultivateurs du village Xiyang lors du creusement d'un puits d'irrigation, cette armée souterraine vieille de 2000 ans est devenue un incontournable au même titre que la Grande Muraille et la Cité interdite.

Le paysan qui ne sait pas lire...

...a appris à signer son nom et, en échange d'un modeste salaire, autographie les exemplaires du catalogue du Musée. Il est l'un des creuseurs du puits de Xiyang. Vedette malgré lui, l'homme griffonne machinalement quelque chose qui ne ressemble à rien. Depuis combien d'années ? Ni Sophie, ni Olivier ne le savent. Les exemplaires signés coûtent plus cher, mais les gens font la queue, comme au Salon du livre. Moi comme les autres...

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L'empereur mégalomane...

Oeuvre d'un tyran mégalomane, le site abrite, outre le Musée de l'Armée en terre cuite (20 hectares), le mausolée de l'empereur Quin Shi Huangdi - un tombeau noyé dans des rivières de mercure, toujours inviolé à l'heure actuelle -, 31 fosses d'oiseaux et d'animaux rares, 98 fosses d'écuries, 17 tombeaux des enfants de l'empereur et 2 nécropoles... des constructeurs du mausolée. Tombeaux dépourvus de cercueils et d'objets funéraires, bien entendu. Les squelettes, dont certains ont conservé la trace de couteau, sont ceux d'hommes dans la force de l'âge : ouvriers engagés de gré ou de force dans la construction du mausolée, forçats, criminels de droit commun... un peu de tout. Des inscriptions sur des tuiles précisent les noms, les lieux d'origine, les rangs sociaux et les dénominations des peines.

...modèle de Mao

Qui était Qin Shi Huangdi ? Ying Zheng prend le pouvoir de l'État féodal Qin en -246, unifie tout l'Empire chinois puis se proclame 'Premier Auguste Seigneur Qin' (Qin Shi Huangdi). L'Histoire le reconnaît comme le premier empereur de Chine. Empereur tyrannique, adepte de la philosophie légiste qui préconise l'absolutisme et l'exercice du pouvoir autoritaire indépendamment de toute considération morale, il pourchasse les confucéens réputés ennemis de cette philosophie en les enterrant vivants et en brûlant leurs écrits. La répression violente de Qin Shi Huangdi contre les confucéens inspire à Mao Zedong le slogan 'Brûlons les livres et enterrons les lettrés' lors de la Révolution culturelle.

Qin Shi Huangdi a tout de même laissé, au delà de son règne, un extraordinaire héritage architectural en faisant construire la Grande Muraille de Chine, la plus grande structure architecturale érigée par l'homme. Il a également légué à son peuple un empire unifié, aussi bien dans l'administration militaire et politique que dans les domaines culturels, qui formera au cours des siècles ce que l'on nomme aujourd'hui la Chine. Un empire qui dura plus de vingt siècles.

La fameuse armée de guerriers

Redoutant d'être seul après sa mort, Qin Shi Huangdi ordonna que toute son armée (des milliers de soldats, chevaux et chars) soit sculptée et enterrée avec lui. Les écrits sont formels : les soldats, plus grands que nature, sont tous différents les uns des autres. En fait, les corps ont manifestement été produits en masse et offrent peu de variantes. Par contre, les coiffures, les barbes, les moustaches, les yeux et la bouche sont sculptés selon diverses combinaisons, de manière à créer un nombre presque infini de visages différents. Ce qui donne à penser qu'ils ont été faits d'après des modèles réels. Quoi qu'il en soit, les fantassins, archers, cavaliers et généraux, placés en ordre de bataille dans les trois fosses exhumées, constituent l'une des installations les plus grandioses que le génie humain ait conçues.

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Les trois photos précédentes sont de Pierre Rondeau.

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Ces Muses...

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... qui nous piègent

On connaît la chanson (depuis le temps qu'ils nous arnaquent), cette fois ILS ne nous auront pas ! Serais-je la seule qui ait de bons réflexes ? Il semble bien que tout le monde ait succombé au charme des figurines en terre cuite. Quatre guerriers Qin et un cheval, à l'effigie des vrais, dans un coffret rectangulaire 'qui s'offre si bien en cadeau qu'on a envie de le garder pour soi'. Un petit bijou dont on négocie le prix avec plus ou moins de ferveur tant l'affaire semble bonne.

Une bonne affaire, vraiment ? Je vous raconte, vous en jugerez.

Micheline, Odette et moi sommes assises sur la dernière marche de la boutique attenante au Musée. Quatre, cinq marchands ambulants tournoient autour des touristes. Ten yuans, only ten yuans ! Ils brandissent tous - comme une arme - un objet rectangulaire. De toute évidence, c'est le même que Micheline tient dans sa main. Le plus audacieux s'approche de nous : Ten yuans, me only ten yuans... How much you paid ? La réplique de Micheline (ça ne te regarde pas !) n'éloigne pas l'importun. Il éclate de rire, comprend qu'elle s'est fait avoir, renchérit : Dix euros, two for dix euros...

Aussi paradoxal que cela semble, Micheline a fait une bonne affaire, comparée à Lyse. Dans ses 'Impressions de retour', celle-ci le confesse sans honte :

'En Chine, tous les habitants sont vendeurs et ne laissent pas facilement partir leur proie. Le moindre coup d'oeil sur leurs marchandises, même derrière les verres fumés, et on est cuit. Expliquez-moi pourquoi, après avoir marchandé serré, fait baisser les prix quatre ou cinq fois, j'ai encore l'impression de m'être fait avoir ? Dans l'espace de 30 minutes une boîte de soldats en terre cuite, à Xi'an, passe de 150 yuans la boîte à 2 boîtes pour 10 yuans de l'autre côté de la rue ? Qui ne sait pas compter : moi ou lui ?'

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Grand jade deviendra... petit

Le jade ne me dit rien, ne me disait rien, en fait, avant mon séjour en Chine. Yangze m'a initiée aux nuances de la jadéite, du jade blanc de Birmanie, de la néphrite. J'ai vu à l'oeuvre les ouvrières de la Fabrique de jade de Xi'an. D'une pierre informe, terne, elles dégagent à la fraiseuse, patiemment, l'excédent de matière jusqu'à l'obtention de ces bibelots animaliers (réalistes ou fabuleux) dont les Chinois raffolent.

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J'ai admiré l'adresse incroyable des petites mains qui sculptent 'par évidement' cinq, sept, parfois neuf sphères mobiles à l'intérieur d'un morceau de jade. Certaines de ces pièces sont vendues des milliers de yuans. À mon avis, elles le valent bien. Mais combien touchent les ouvrières ?

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J'aurais tant aimé...

parler de cette longue promenade sur les remparts des Ming, à l'heure la plus chaude du jour...

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... du quartier musulman, de son souk, de la maison traditionnelle où Yvan et moi avons pris le thé, des cours ombragées, de la veille balançoire où m'attendait, pendant que j'étais 'au petit coin', la jeune fille qui nous avait servi le thé... Faute d'images (j'ai perdu l'appareil-photo acheté à Suzhou pour remplacer celui qui m'a été volé à Shanghai), je n'arrive pas à reconstruire le puzzle, et l'intérêt n'y est plus. Quelques réminiscences des pagodes de l'Oie sauvage, de la forêt des stèles, mais à peine. Je n'ai pris aucune note, j'appelle en vain mes souvenirs. Ils se bousculent, pêle-mêle, et je ne vois pas l'utilité de les ordonner. Mon séjour à Xi'an, pour les fins de cette chronique, restera ce qu'il est : sans milieu, ni fin...

À SUIVRE

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