Par-delà les apparences
Le dernier et le plus déconcertant des films de Michelangelo Antonioni, Par-delà les nuages, m'a laissé le souvenir d'images brumeuses, froides, mélancoliques. Je n'ai pratiquement rien retenu des histoires fantasmagoriques développées par Antonioni et Wim Wenders que « le maître » avait réquisitionné à titre d'assistant (âgé de 82 ans, Antonioni avait souffert auparavant d'une attaque cérébrale qui l'avait laissé partiellement paralysé). Je me souviens néanmoins d'une scène.
Des gens sont attablés dans un restaurant. Une jeune fille s'invite à la table du personnage principal - un cinéaste en quête de repérages pour son prochain film. L'homme est seul. Sans préambule, la jeune fille lui dit qu'elle aimerait lui raconter une histoire. Je la cite d'après les notes que j'avais prises pendant le visionnement du film.
Au Mexique, au début du siècle dernier, des savants ont engagé des porteurs auxquels ils ont confié, selon l'usage, les charges les plus lourdes. À un moment donné, les porteurs cessent de marcher sans donner d'explication. Les savants s'étonnent : «Pourquoi vous arrêtez-vous ?». Les porteurs répondent qu'ils ont marché trop vite et qu'ils doivent attendre leur âme.
Longtemps je me suis dit que si le film d'Antonioni avait un sens au-delà du propos apparent, c'était dans cette digression qu'il fallait le chercher.