Priscilla
S'appelait-elle vraiment Priscilla ? Ou est-ce le prénom que John Thomas Smith lui avait donné ? L'intéressée elle-même y accorda sans doute peu d'importance. Le graveur l'avait choisie pour illustrer les petits métiers de Londres. Elle, pas Abigaïl, parce qu'elle avait quelque chose que la grande perche n'avait pas (il avait dit qu'elle était «typical», ou quelque chose du genre). Pour vingt pennies, elle avait tenu la pose dans un atelier chauffé - un luxe -, bu du thé, du vin... Smith avait corrigé sa posture. Elle ne comprenait pas ce qu'il exigeait d'elle, elle se tenait droite, effleurait à peine le tissu posé sur ses genoux, il n'aimait pas. Sur son banc, dans le petit parc de la rue de Clerkenwell, elle n'avait pas cette raideur. Il lui demandait d'écarter les jambes. Quelle idée ? Il lui versait encore du vin, elle buvait, le sang lui montait à la tête, elle avait maintenant chaud, trop chaud. Son corps s'amollissait, son regard prenait des langueurs. Smith s'agitait, ce n'était pas du tout ça. Où allait-elle chercher ces manières ? Ne pouvait-elle être naturelle, enfin ?!?
Priscilla occupée à la confection de quilts dans une rue de Clerkenwell, John Thomas Smith, 1916
Femme cousant sur un banc de parc, rue Saint-André, Montréal, 2010