Corsets et rayures
La Planète mode de Jean Paul Gaultier présentée au Musée des beaux-arts de Montréal n'est pas une exposition au sens classique du terme. Ici les visages des mannequins s'animent, parlent, chantent, roucoulent. Un dispositif ingénieux conçu par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin du Théâtre Ubu. Gaultier lui-même s'est prêté au jeu, de même que les mannequins Ève Salvail et Francisco Randez, la soprano Suzie LeBlanc, l'animatrice Virginie Coosa, la comédienne Christiane Pasquier, pour ne nommer que les plus connus.
Evelyne Brochu, Marina Eva et Ève Salvail durant le processus de création. Photos Stéphanie Jasmin, UBU
D'entrée de jeu on est conquis par la scénographie. Un choeur de madones, de sières et de marins nous accueillent, tout en haut du grand escalier, sur un fond bleu azur, lumineux. Gaultier (le mannequin) nous raconte plein de trucs : ce qui l'inspire, ce qu'il aime, d'où il vient, où il va... Les belles baissent pudiquement les yeux, les gars nous font de l'oeil. On sourit, on est aux anges. Le ciel, ou presque...
Les 150 ensembles accessoirisés, dont la plupart n'ont jamais été exposés, se présentent sous forme de thèmes. Après L'Odyssée de Jean Paul Gaultier, on entre dans Le Boudoir, consacré aux célèbres bustiers du créateur.
Les visiteuses jouent le jeu, elles aussi.
Le body-corset en lamé (au centre) a été porté par Kylie Minogue lors de la tournée X2008 et par Arielle Dombasle lors du concert Live Glam Video Show 2010. L'artéfact rose de la visiteuse provient sans doute de ses archives personnelles...
...tout comme le body rayé de Bibi. On fait ce qu'on peut.
À fleur de peau. Donjon de vêtements « prêts-à-baiser », scandaleux ou élégants, c'est selon...
À défaut de rayures ou de corset, Chloé s'est contentée d'une goutte de parfum Classique de Jean Paul Gaultier. Les créations qu'elle scrute appartiennent à la collection Morphing, 2003-2004. L'ensemble au bonnet rouge est un hommage à Cocteau.
La salle Punk Cancan regroupe les inspirations parisiennes et londoniennes de Gaultier.
La première pièce - Perfecto d'homme destroy tagué «76» dans le dos - appartient à la Première collection printemps-été de Gaultier (1977). La fiche, laconique, confirme ce qui inspire Gaultier : la rue.
Le maximanteau en fausse fourrure a été créé par JPG pour JPG. C'est l'ensemble que le créateur portait lors de la présentation des MTV Europe Music Awards à Paris en 1995.
Robe-trench en gabardine tartan. Collection So British, automne-hiver 2007-2008.
Demi-perfecto, collection Louise Brooks chez Easy Rider, printemps-été 2001.
Les punkettes de la rue Crescent n'ont rien inventé...
Jean Renoir, qui avait un grand sens de l'humour, aurait adoré cette robe-bustier en ruché cancan, à la doublure «tout en jambes». Collection Punk cancan, printemps-été 2011.
Jungle urbaine. Mon coup de coeur.
Gaultier a beaucoup ri quand il a entendu le mannequin roucouler «L'Air des bijoux» du fameux Faust de Gounod. Est-ce toi, Margueriiiite ? Réponds-moi, réponds vite ! Non ! non ! - ce n'est plus toi ! On met un certain temps à identifier la source, car la coquine interrompt son chant, nous regarde fixement (moi ? mais je n'ai rien fait !), baisse les yeux, chucote quelque chose qu'on ne comprend pas, une phrase à peine audible pour ajouter à la confusion, puis reprend de plus belle : Ah ! je riiiis de me voir si belle en ce miroir...
Les défenseurs des animaux n'aiment sûrement cette robe-tigre...
Une autre création de la Première collection (1977). Le haut est fabriqué à partir de napperons philippins en paille.
Cette pièce magnifique de la collection Le Grand Voyage est un bel exemple du métissage culturel qui fait la marque Gaultier. La petite main me rappelle certains heurtoirs...
Body en maille brodée. Sac à dos brodé en mouton de Mongolie et renard...
Cuissardes en broderies impériales chinoises. Collection Voyage, Voyage, automne-hiver 2010-2011.
Les Rabbins chics
Manteau en ciré, schtreimel en vison. Un hommage à la religion juive, affirme le créateur. Puisqu'il le dit...
La dernière salle de l'exposition, Métropolis, représente le volet futuriste de l'univers Gaultier. Costumes de scène, de cinéma, de danse signés par le designer. J'ai craqué pour cette robe-cage en satin duchesse brodé (2008-2009).
Quoi choisir ?
Thierry Maxime Loriot, commissaire de l'exposition, l'admet : le choix parmi les 150 collections que Jean Paul Gaultier a réalisées en 35 ans a été difficile. « Il a fallu trouver des tenues disponibles et en bon état, ce qui n'est pas facile quand on sait qu'on gardait peu de vêtements dans les années 1970 et au début 1980. Sans compter que Jean Paul Gaultier recycle parfois ses propres vêtements pour en créer d'autres. »
La plupart des vêtements exposés ont été légèrement restaurés (ourlet à refaire, perles à ajouter). Les costumes de scène de Madonna pour le Blonde Ambition Tour ont été oxydés à certains endroits par la sueur de la chanteuse. Gaultier les a gardés tels quels car il était impossible de les reprendre : les corsets en or ont été réalisés dans un tissu synthétique métallisé des années 1930, introuvable de nos jours.
Satisfait, le créateur ? Au-delà des attentes, paraît-il. La Dombasle aussi. « C'est un comble que ce ne soit pas à Paris. » On l'entendra comme on voudra.
Photo prise lors du lancement de l'exposition le 13 juin dernier.