La folle du logis
Dans son documentaire, Lillian Gish, consacré à l'héroïne des films de Griffith, Jeanne Moreau demande à l'actrice déjà très âgée (je cite de mémoire) :
- Quel don, quel talent auriez-vous aimé transmettre à vos enfants, vos petits-enfants ?
- L'imagination.
Non pas l'affabulation mais l'imagination créatrice au sens, j'imagine, où l'entend Bachelard : « Par l'imagination nous abandonnons le cours ordinaire des choses. Percevoir et imaginer sont aussi antithétiques que présence et absence. Imaginer c'est s'absenter, c'est s'élancer vers une vie nouvelle. »
Le film de Moreau, visionné plusieurs années après sa production (1983), m'a laissé une impression de grande connivence entre deux comédiennes qui (on le devine) avaient l'une pour l'autre une immense admiration. Je n'ai retenu des dialogues que cet échange. Et des images d'une grande douceur. Lillian était devenue une petite femme fragile, au visage presque transparent, mais ses yeux, comme son esprit, irradiaient.
Quand Anne, la maison aux pignons verts a pris l'affiche à Radio-Canada, j'avais largement passé l'âge d'être émue par l'héroïne de Lucy Maud Montgomery. Ma fille, encore au primaire, était « en plein dedans ». J'ai fait avec.
Megan Follows dans le rôle de Anne
Il y a quelques jours, lassée de lire et ne trouvant rien de mieux à l'antenne, je suis tombée sur une reprise de la série. Juste au bon moment : celui où Matthew et Anne, venant de la gare, se dirigent vers les Pignons verts. C'est le début de l'été, les fleurs de pommier embaument (oui, oui, on arrive à les sentir), une pluie de pétales inonde la voiture quand ils passent sous les arbres. Anne lévite de bonheur. Le taciturne Matthew, lui, en prend pour son rhume. Au lieu du garçon travailleur et solide qu'on lui a promis, le voilà coincé avec une maigrichonne rêveuse et... volubile.
Le paysage - c'est fait exprès - est nimbé de cette lumière à laquelle ni mon coeur ni mon esprit n'ont jamais su résister. Ma garde faiblit.
La scène qui m'achève a lieu au retour de la visite que font Marilla et Anne à leur voisine, Rachel Lynde. Les deux femmes marchent d'un pas allègre. Anne babille, parle du bonheur « absolu » d'avoir une amie, même imaginaire... au grand agacement de Marilla qui essaie de l'amener à des considérations plus réalistes. Sans résultat.
- Vous n'imaginez jamais les choses différemment de ce qu'elles sont ?
- Non.
- Oh, Marilla ! Ce ne doit pas être drôle pour vous. Comme je vous plains !
Et vlan ! La petite rousse m'a définitivement conquise ! Je me retape l'épisode...