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Chronique d'Elle
5 mars 2008

La bague d'Alma

En 1962, Gregory Peck reçoit l'Oscar du meilleur acteur pour son rôle d'Atticus Finch dans To Kill a Mockingbird, film que Robert Mulligan (Un Été 42) a adapté du roman éponyme de Harper Lee. C'est un événement à marquer d'une pierre blanche car le film, sorti dans le contexte torride de la lutte des noirs américains pour l'obtention de leurs droits civiques, dénonce non seulement le racisme mais les préjugés les plus tenaces de la société américaine. Le film a vieilli, certes, il souffre de certaines longueurs, mais il aura toujours pour moi le charme du premier visionnement. Il me suffit d'entendre le titre pour revoir l'ombre des chênes, les flaques de lumière vive, typique des étés interminables de l'Alabama. Et surtout, la cavité du tronc d'arbre où Boo Radley dépose à l'intention de Jem et de Scout les figurines sensées les représenter, deux pièces anciennes d'un penny, une médaille d'orthographe ternie, de la ficelle, un canif... Objets banals, mais fascinants que Jem conservera précieusement dans une vieille boîte à cigares. Dans son analyse du Marchand de Venise de Shakespeare, Freud propose une interprétation mythologique du thème du coffret. Je le signale, en passant, à ceux que la psychanalyse intéresse. Et je passe.

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J'ai revu récemment le film de Mulligan - avec le même abandon. Il m'a donné l'idée de cette chronique. Qui n'a pas conservé au fil du temps un objet auquel est attaché un sens, une valeur symbolique ? J'ai posé la question à quelques amis : ils ont confirmé mon hypothèse, à savoir que nous possédons tous un objet fétiche ou symbolique. Ils ont accepté, de surcroît, de me dire l'histoire de ces objets. Voici ce qu'ils m'ont raconté.

La bague d'Alma

Sophie Campbell

Cette bague, que je possède depuis fort longtemps et à laquelle je tiens beaucoup, m'a été offerte par une femme prénommée Alma. Impressionnée par le peu que je savais des théories de Lacan, je me suis souvent demandé si le nom de la donatrice de la bague, Alma, n'était pas pour quelque chose dans mon attachement pour elle. N'ayant pas fait de latin, je pensais qu'alma signifiait âme, alors que ce mot veut dire mère nourricière... Tant pis, le hasard eût été trop beau.

Bref, revenons à cette Alma qui m'a légué ladite bague, car c'est bien de legs qu'il s'agit. Alma, une amie de mes parents, était aussi blonde que son amant, Roger, était brun et avait le teint mat. Elle avait l'âge d'être ma grand-mère, et je suppose qu'elle n'avait pas de petits-enfants, ni peut-être d'enfants, car lorsqu'elle mourut alors que j'avais tout au plus huit ans, elle me laissa en héritage une grosse boîte à bijoux tapissée de tissu d'un rose passé, qui recelait des trésors de magnifique toc : rivières de faux diamants, boucles d'oreilles ornées de saphirs d'imitation et autres merveilles kitsch. La 'cassette' (je me rappelle encore ma première rencontre avec ce mot chez la comtesse de Ségur) contenait une bague dont je n'ai jamais su quelle précieuse la pierre tentait d'imiter. D'un mauve profond, elle était et est toujours, à ce que m'ont affirmé les respectables et admiratives dames qui m'en ont fait compliment, sertie en son alentour de marcassite (et de quelques chatons vides, comptés et recomptés). En caresser la circonférence du bout du pouce est un geste familier que je retrouve quand il m'arrive encore de la porter à l'index de la main gauche.

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Au début des années 1980, elle était trop grande pour moi, ce qui ne m'empêcha pas de la plier (littéralement, comme le montre la photo ci-dessous) à mes jeux qui, tous, avaient pour personnages centraux joués par mon amie Isabelle et moi des princesses orphelines, fussent-elles indiennes ou à l'image des contes occidentaux traditionnels.

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Heureusement pour moi, mes doigts d'enfant me sont restés, et j'ai pu, à l'état de chrysalide et depuis, continuer de la porter. L'enfiler m'a longtemps paru une façon de me protéger à la manière d'un talisman. La bague est à mes yeux à la fois féminine et robuste de par sa taille (sans doute 3 cm par 4), chic, mais kitsch; elle a pu accompagner sans déparer ma période hippie, une certaine rébellion et, plus tard, mes premiers pas de milonguera (ndlr : danseuse de tango). Son originalité me permettait de me glisser partout avec distinction. Son argent s'est terni, mais elle n'en est que plus belle. (Pourquoi tient-on à ce que le vieux conserve les attributs de la jeunesse ?)

Je repense à alma, la mère nourricière, et je me demande si cette bague n'a pas finalement été mon objet transitionnel à moi, celui qui remplace la mère protectrice. Ce n'est sans doute pas par hasard que j'ai cessé de la porter il y a un an, quand je me suis mariée et que je l'ai remplacée par un autre anneau, symbolisant une nouvelle union et un nouvel âge...

J'oubliais : si tous les bijoux étaient comme celui-là, saint Antoine de Padoue serait au chômage, car maintes fois égarée, elle fut toujours retrouvée comme par magie !

Les absentes

Ginette Lambert

Témoin de la jeunesse de ma grand-mère, cette lampe à l'huile m'accompagne de maison en maison depuis plus de trente-cinq ans. Elle m'a été donnée, après la mort de grand-maman, par une tante qui connaît mon amour des 'vieilles choses'. Je l'allume parfois les soirs d'orage, rarement en fait, car son globe est fragile. Je revois le buffet de la salle à manger sur lequel était posée la lampe, l'ancien carillon en bois, juste à côté, les rideaux damassés, les rues, le village de Saint-Basile, mon enfance...

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... et puis les souvenirs dérobés, volés en novembre dernier, arrachés de leur écrin : bagues de ma mère, vieille montre et broche de ma grand-mère - une abeille aux ailes à peine ouvertes, incrustées de pierres noires. Une abeille, une butineuse, comme grand-maman qui était née - sans le faire exprès - le 8 mars, la Journée internationale de la femme ! Avant-gardiste à sa manière, Thérèse a été la première citoyenne de Saint-Basile, à la fin des années 1940, à posséder une automobile, une grosse Packard noire qu'elle conduisait, dit-on, avec fougue. Envolée, l'abeille ! Perdue pour toujours la bague de maman, le dernier lien physique qui me reliait à elle (ma mère est décédée en 1994). Objets irremplaçables. Je ne sens plus le métal à mon doigt, je ne vois plus briller l'or et le noir, je ne vois que du vide : l'absence...

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Au commencement étaient les étoiles...

Denis Desjardins

J'avais six ou sept ans. Tante Denise m'avait offert, pour ma première communion, un album dont le seul titre me faisait déjà rêver : Contes des étoiles. Le nom de l'auteur m'intriguait : Marcelle Vérité... VÉRITÉ ! On pouvait lui faire confiance à celle-là, elle ne raconterait pas n'importe quoi !

Sept histoires composaient ce superbe album que je ne me lassais pas de feuilleter. En attendant de pouvoir assimiler les textes je regardais, fasciné, les illustrations : le Vent d'Ouest aux joues gonflées, le Soleil, grosse boule jaune emprisonnée dans un filet par Mère Pluie et Père Glaçon, la perdrix blanche perdue dans les montagnes enneigées, comme les Laurentides où je passais parfois les vacances d'hiver. Je me souviens très bien des récits d'oiseaux, de l'aventure d'une tortue de mer, de celle d'un gobi des Philippines... Mon conte préféré, qui illustrait d'ailleurs la couverture, était celui du 'Canard qui ne pouvait pas nager'. Sa maîtresse, la petite Mariki, le couvait trop; par crainte de le perdre, elle lui avait fait croire qu'il était un poulet ! Jusqu'à ce qu'il décide de prendre le large... Bien sûr, je m'identifiais à Anastase, le canard. À sept ans, déjà, je rêvais d'émancipation.

Contes___1

Quarante-deux ans plus tard, l'album est toujours en parfait état dans ma bibliothèque. Je décide de l'offrir à la fillette de mon amoureuse, une enfant adorable qui ressemble un peu à Mariki. Hélas ! Bientôt je perds mon amoureuse, l'enfant et le livre. Adieu, contes des étoiles...

Le temps passe, j'oublie le livre. Un nouveau resto vient d'ouvrir dans mon quartier, un sympathique café-bibliothèque où je déjeune parfois. Hier, sur un rayon de la bibliothèque, j'ai revu mon album !

Contes___1

En fait, pas exactement le même, il s'agit d'une édition ultérieure. Le format est beaucoup plus petit, le livre est abîmé, mais ce sont bien les mêmes contes. J'ai glissé le livre sous ma veste et l'ai emporté à la maison. Une partie de mon enfance m'est revenue... en format réduit. Toute chose, dit-on, s'amenuise avant de disparaître tout à fait. Ainsi en va-t-il des étoiles. J'y pense : l'ultime mot de mon plus récent livre est 'ÉTOILE'...

On ne sait jamais...

Flavie

Comme toutes les petites filles de ma génération, j'ai eu une boîte aux trésors. Ce n'était pas un coffret en palissandre, pas même un coffret, mais une vulgaire boîte à souliers que je cachais dans le dernier tiroir de ma commode. Que contenait cette boîte ? Peu de choses, à vrai dire. Un journal fermé à clé, dans lequel je consignais plein de sottises graves. Quelques miniatures soustraites à la collection d'animaux de mon frère (pour me venger d'une délation quelconque). Une broche sertie de strass que ma soeur avait gagnée à une tombola et que je lui avais échangée contre des paper dolls. Quoi encore ? Un oiseau-sifflet. Une boule de verre magique : il suffisait de la secouer pour que tombât sur la ballerine emprisonnée une pluie de paillettes dorées. Et puis des photos de classe, un mouchoir parfumé que ma mère m'avait donné lors d'une de ses visites éclair quand j'avais cinq ou six ans. Le parfum bon marché avait laissé un cerne dans le tissu - un souvenir cheap, en quelque sorte, que je conservais par principe. Comme il me manque aujourd'hui !

Vers 13 ans, j'ai commencé une collection de photos d'acteurs américains : Janet Leigh, Elizabeth Taylor, Rock Hudson, James Dean...

James_Dean

La boîte à souliers n'a pas suivi mes déménagements. On ne traîne pas son enfance avec soi. Hélas.

J'ai grandi (un peu), j'ai vieilli. Hormis quelques photos, des livres et des disques, je n'ai conservé aucun objet de ma jeunesse. J'ai jeté, donné, égaré des bricoles auxquelles je n'attachais aucune importance. Trop de déménagements, trop peu d'espace. Un objet, pourtant, me suit depuis 1974. Il n'est pas beau (loin s'en faut) et n'a aucune valeur marchande. Il m'a été donné par un journaliste de Radio Praha lors de mon premier voyage en Europe, en souvenir de...

L'objet en question, selon les sino-vietnamiens, est censé apporter fécondité et prospérité, mais il est frappé d'interdit dans plusieurs religions : animal hypocrite selon les juifs, symbole d'ignorance pour les bouddhistes tibétains... Bref, une sale bête ou un porte-bonheur selon les civilisations. Comment, de compagnon de Déméter, Cérès, Cybèle et saint Antoine, le porc a-t-il voyagé jusqu'à l'inconscient de Jim Henson (The Muppet Show) ? Un sacré mystère, car Miss Piggy, l'exubérante cochonne, tient davantage du burlesque que de la mythologie. Mais qui s'en soucie ?

Je n'ai toujours pas trouvé de nom à ma petite truie. Pour être honnête, je n'y crois pas tellement, mais je la garde : on ne sait jamais...

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Commentaires
M
Cette boîte avec tous ces objets, et cette petite fille déguisée en jambon... un film que j'ai vu encore et encore et que je possède... La vue de cette boîte a fait remonter en moi énormément de souvenirs.
F
Précieux commentaire. Que je conserve en ma mémoire et mon coeur. Je ne vous demande pas de 'revenir', car je sais que vous êtes là. Merci M'sieu Dédé.
M
Précieux témoignages<br /> Objets d'un temps lointain<br /> Au temps d'un futur troisième âge<br /> Je vous relirai d'un oeil serein<br /> <br /> Mots d'aujourd'hui, je vous conserve<br /> Vous serez souvenirs de souvenirs<br /> Verve ravivée<br /> D'un hier à venir...
F
Ginette,<br /> <br /> Ton idée me plaît. J'y vois déjà l'occasion d'une nouvelle collaboration. Une autre belle histoire à suivre...
G
Chère Muriel,<br /> <br /> De m'être livrée à cet exercice a été très agréable et m'aura permis d'«exorciser» le vol des bijoux pour ne garder que les bons souvenirs.<br /> <br /> Puis-je te suggérer une autre chronique qui elle, pourrait porter sur les braderies, les puces, les vide-grenier, les bazars, ceux des villes et des campagnes et surtout sur les trouvailles qu'on y fait et surtout sur les motifs (conscients ou inconscients) qui nous guident dans l'achat d'un objet utile ou pas.<br /> A suivre peut-être?
Chronique d'Elle
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