Sleep baby sleep
La peur, la vraie peur remonte inévitablement à l'enfance. C'est Pascal Quignard, dans Villa Amalia, qui la décrit le mieux : «Les petits connaissent les terreurs qui sont les premières, les terreurs princeps, celles qui sont sans référence dans l'expérience (...). Les pires. Les tristesses abyssales.»
Ma première expérience angoissante - celle dont je garde le souvenir parce qu'elle était, justement, sans précédent - est une conjonction d'un fait anodin et de son amplification par mon imagination délirante. La fièvre (j'étais fortement grippée) y tient un rôle sûrement, mais cela ne change rien à l'affaire. Je me revois dans le dortoir des petites, regardant distraitement le vasistas. Une lumière est allumée dans la pièce adjacente. C'est elle, sans doute, qui attire mon regard. Le verre du vasistas est légèrement bosselé, mais je discerne une ombre qui bouge derrière la fenêtre. Cette ombre se rapproche, se plaque contre le verre. Puis un visage déformé se dessine. Je distingue deux yeux noirs qui me fixent. Je n'arrive pas à détacher mon regard de la forme mi-humaine mi-animale qui me dévisage. Mon coeur bat tellement fort que je crains qu'il s'arrête. Je suis littéralement envoûtée. La peur me paralyse, je respire à peine. Je crie sans émettre un son.
Eussé-je appelé que personne ne serait venu. Il n'y avait personne pour m'offrir «a lullaby». C'est là qu'est l'abîme.