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Chronique d'Elle
5 septembre 2009

Le diable est aux vaches !

Dimanche, 30 août

Le Marché public de Pointe-à-Callière...

... une incursion authentique au coeur du premier marché public de Montréal, vers 1750. Authentique ? Soyons bonne joueuse. L'ambiance de la place Royale, les costumes du 18e siècle, le défilé du Régiment de La Sarre, la confiture de lys d'un jour, les truffes au chocolat (miam), les alcools de fruits (pas piqués des vers), les Amérindiens (appellation contrôlée garantie)... valent le détour - et quelques photos.

Mohawks, et fiers de l'être

Ne vous fiez pas à leur air débonnaire. Les Mohawks (« Mangeurs d'hommes » dans la langue de leurs ennemis algonquins) sont appelés Agniers en français. Le nom iroquois signifie « serpent venimeux ». Les Mohawks préfèrent s'appeler « Haudenausee » : «Peuple de la maison longue». Les Mohawks - qui l'a oublié ? - ont joué un rôle crucial dans la fameuse Crise d'Oka.

Le conflit qui oppose, au printemps de 1990, les Mohawks à la municipalité d'Oka, surgit lorsque celle-ci projette d'agrandir un terrain de golf en rasant un bosquet de pins voisin. Or, celui-ci abrite un ancien cimetière agnier... Devant le refus des Indiens d'évacuer le tronçon de route qu'ils bloquent depuis des mois, les autorités donnent l'assaut au cours duquel un policier est tué. Une grande partie de la communauté amérindienne apporte son soutien aux « warriors » d'Oka. La crise prend une ampleur telle que le Premier ministre du Québec demande l'intervention de l'armée fédérale. Robert Bourrassa, déjà malade, y laissera sa peau. Les Mohawks sortent du conflit divisés. Les femmes, qui ont joué un rôle primordial dans les négociations avec les gouvernements impliqués, réclament leurs récompenses : une représentation au Conseil de bande et des droits identiques à ceux des Blanches. On les renverra à leurs casseroles...

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Allons z'enfants !

Une façon de parler, car les « vrais » n'étaient pas des enfants de choeur. Leur arrivée en Nouvelle-France, en mai 1756, augure la période la plus honteuse de notre histoire : le triomphe de l'armée britannique au terme de sept années de guerre avec la France.

Un coup classique - l'assasinat du diplomate français Jumonville par un détachement de l'armée britannique et de Bostonnais commandé par Georges Washington - «réveille» la France qui s'intéresse mollement à sa nouvelle colonie. Douze compagnies de fuisilliers et une de grenadiers appartenant au deuxième bataillon du régiment de La Sarre, ainsi que le deuxième bataillon du régiment Royal-Roussillon quittent Brest le 2 avril 1756 à bord des vaisseaux Héros et Léopard. À bord de ce convoi, prennent également place Louis-Joseph de St-Véran, Marquis de Montcalm, général des armées du Roy, et François Gaston, duc de Lévis. On connaît la suite : après quelques victoires et de nombreuses pertes, Montcalm meurt sur les plaines d'Abraham pendant la bataille de Ste-Foy, et Lévis, attaqué de toutes parts par la puissante armée de Murray, doit se replier sur Montréal. Sur l'Ile Ste-Hélène, il ordonne de brûler les drapeaux régimentaires... plutôt que de les rendre aux vainqueurs. Le 8 septembre 1760, les autorités de la Nouvelle-France signent la reddition. Le 15 septembre, soldats et officiers du régiment de La Sarre repartent pour la France. Un « flop historique » dont on ne s'est jamais remis...

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Soldats du Régiment de La Sarre

Sabaidee Luang Prabang

Ce n'est pas le milicien qui m'intéresse - encore moins ses recettes authotones -, mais le sac de la jeune femme. Que peut bien signifier « Sabaidee Luang Prabang » ? Une recherche sur le Net m'apprend qu'il s'agit du titre du premier film laotien financé par des fonds privés depuis la prise du pouvoir par les communistes en 1975. La jeune femme me rappelle une étudiante marxiste connue au bac : le même air un peu buté, le même gabarit physique, les mêmes sourcils... Un prototype de la militante de gauche ?

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Les épices, pour la photo, et le tablier rayé, pour celle qui l'a cousu :

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Suzanne Gousse, costumière de La Corriveau

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Celle-là, je ne perds pas un mot de ce qu'elle raconte. Historienne du costume, Suzanne Gousse a habillé, entre autres, Marguerite Volant et la terrible Corriveau. C'est une maniaque du costume, une perfectionniste. Elle sait TOUT sur la façon de s'habiller au 18e siècle : couleurs, tissus, boutons, types de laçage... Son livre (Lexique illustré du costume en Nouvelle-France, 1740-1760) regorge d'informations cocasses sur les usages de l'époque. Quelques exemples, pour ceux que le sujet intéresse :

Les Amérindiens raffolent des chemises à jabot (sales ou tachées) qu'ils troquent à gros prix - généralement contre des fourrures...

L'habitant, le paysan de la Nouvelle-France, se désigne comme « Canadien », car il est né au Canada de parents français ou canadiens. Pour aller aux champs, l'habitant met une chemise de toile (qui lui sert aussi de vêtement de nuit) et une culotte. Certains curés se plaignent que les Canadiens aillent aux champs, en été, vêtus de leur seule chemine, sans culotte ni caleçon...

Le milicien (tout habitant valide âgé entre seize et soixante ans) part en expédition, en compagnie d'alliés amérindiens et de soldats volontaires, vêtu d'une chemise de toile grise ou « rousse de brin ». Pour la commodité, il a troqué sa culotte de tous les jours pour le brayet, les mitasses et les mocassins des Amérindiens. Il coiffe la tuque et s'enveloppe d'un capot ceinturé - qu'il porte, été comme hiver, pour aller à la messe et dans les cérémonies officielles. Un costume impossible à oublier : c'est celui que portent Les Patriotes en 1837...

Le marchand  et le bourgeois portent des chemises de toile fine garnies de jabot et /ou de manchettes et des cols en mousseline (les fameuses chemises dont raffolent les Amérindiens). Pour sortir, ils prendront leur tricorne et une cape, qui les protégera éventuellement de la pluie. Le marchand, le bourgeois et le gentilhomme se distinguent dans la rue par la qualité des tissus de leurs habits.

Le gentilhomme s'habille « à la française » : justaucorps, veste à manches, culotte, chemise à jabot et à manchettes, col de mousseline plissée, bas fins de soie ou de laine, souliers français (à talons hauts), perruque, tricorne... La canne et l'épée complètent sa tenue. S'il reçoit des amis chez lui, Monsieur enfile une robe de chambre de soie par dessus sa veste ou un gilet et troque sa perruque à bourse pour un bonnet. S'il sort, il s'enveloppe d'un manteau ou d'une grande cape d'écarlate. Le chic du chic !

Et MADAME ?

Alors, là, tenez-vous bien ! Pour ce qui est de l'habit extérieur, rien à dire. Chemise couverte par une robe à ballons en brocard, devant semi-rigide sur la poitrine, corset lacé serré en retenant son souffle, grande cape en velours, foulard de soie noué lâchement sur un chignon bas. Les devants des robes, n'ayant pas de bouton, se fixent avec des épingles, d'où l'expression « tirées à quatre épingles »...

Le hic : les dames ne portent pas de sous-vêtements, et certaines (les plus sportives et les cavalières) font scandale en portant une culotte, jugée indécente et masculine. Autres temps ? Pas si sûre...

Clichés, clichés...

Authentique de la tête aux genoux. Pour les pieds, c'est un peu raté.

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Ça, par contre...

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Elles nous saoulent !

Fallait s'y attendre : les guêpes adorent les fruits et les légumes. Après avoir épuisé tous les moyens orthodoxes de s'en débarrasser, les vendeuses de L'Orpailleur ont décidé de les emprisonner sous des verres à dégustation. Les bêtes s'ennivrent donc à coeur joie, ignorantes de l'agonie qui les attend, pendant qu'on teste les délicieux cidres du terroir. La trève sera courte, on s'en doute bien.

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La nuit tous les chats sont gris, à quinze heures tous les enfants sont brodeurs.

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La vendeuse de sifflets porte de biens jolis sabots, mais je souffre pour elle. N'a-t-elle pas trop chaud ? Elle m'affirme que non : les commerçantes du 18e siècle ne sont pas des mauviettes.

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L'histoire, c'est sérieux...

... mais pas trop. C'est ce que l'oeuvre de Jacques Lacoursière nous porte à penser. Quand il aborde la question des guerres, ce sont les soldats qui intéressent l'historien - entendre : la vie des soldats. Lacoursière est devenu célèbre, en 1996, en participant (en coulisse et devant la caméra) à l'élaboration de la télésérie historique, Épopée en Amérique, réalisée par Gilles Carles. Mon ami Jean Lepage, qui a réalisé un documentaire avec Lacoursière, garde le souvenir d'un homme chaleureux et drôle, drôle... Jean, tu as le bonjour de Jacques.

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Jacques Lacoursière, en marchand des années 1760

Nous voilà assemblés, notre père, comme l'avez souhaité...

...nous plantates l'année derniere un arbre de paix. Et vous y mîtes des racines et des feuilles pour que nous y fussions a l'abry, nous esperons presentement que tout le monde entend ce que vous dites, qu'on ne touchera point a cet arbre, pour nous nous aspirons, par ces quatre colliers que nous suivrons tout ce que vous avez reglé; nous vous presentons deux prisoniers que voicy et nous vous rendrons les autres que nous avons. Nous esperons aussy presentement que les portes sont ouvertes pour la paix, qu'on nous renvoyera le reste des nostres... (extrait de la « Ratification de la Paix » - déclaration de la nation iroquoise)

Le traité de la Grande Paix de Montréal a été signé en 1701 par le Sieur de Callière, gouverneur de la Nouvelle-France et représentant de la France, et par 39 nations amérindiennes. Ce traité mettait fin à près d'un siècle d'hostilité entre les Iroquois, les Français et leurs alliés. C'est le seul artéfact que j'ai rapporté du marché public.

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La copie du traité de paix de 1701, produite et distribuée par le musée de Pointe-à-Callière, est un petit bijou. La dernière page, à elle seule, est une pièce de collection. Elle contient les pictogrammes des nations signataires.

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Pictogrammes 1 à 19 (pour ceux que cela intéresse) : Ouentsiouan représente la nation iroquoise des Onontagués et signe un échassier. 2. La tortue représente les Tsonnontouan. 3. La fourche au milieu de laquelle se trouve une pierre : les Onneeiouts. 4. La pipe représente les Goygouins (« peuple de la grande pipe »). 5. La marque de Kondiaronk, dit le Rat, a sans doute été apposée par quelqu'un d'autre au nom du grand chef huron, mort deux jours avant la signature du traité. 6. L'ours. Les Outaouais du Sable. 7. La marque des Abénaquis de l'Acadie. 8. L'ours, marque des Outaouais Sinagos. 9. L'ours également, pour les Gens du Sault. 10. Le chevreuil, signature du chef des Gens de la Montagne. 11. Un poisson pour les Outaouais Kiskarons. 12. La fourche représente le lieu où vivent les Outaouais de la Fourche, à la confluence de trois rivières. 13. L'Oiseau-tonnerre pour les Mississagués (nation ojibwée). 15. La grue, pour les Sauteurs (Ojibwés). 17. Une perche surmontée d'un scalp pour le village des Pangichéans. 18. La marque de Chichicatalo, chef très respecté chez les Miamis, regroupe deux symboles, dont une grue. 19. La marque du chef Outilirine pourrait représenter les Cris. En langue Crie, le suffixe -irin signifie «homme».

Le diable est aux vaches !

Que serait un marché public sans les traditionnels conteurs ? Celui-ci a un accent savoureux (moitié 18e, moitié 21e siècles), un bagout irrésistible, et une tête plutôt sympa. Son conte, Le diable est aux vaches, met en scène des villageois crédules et un personnage que tout le monde reconnaît, sauf les protagonnistes. Le conteur est entouré de deux violoneux... pour l'ambiance.

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Je ne suis pas amateure de contes. Les nuages menacent de céder depuis une demi-heure, j'en profite pour me précipiter vers la buvette de la place avant que la pluie tombe. Une bonne bière d'épinette ne me fera pas de tort.

À la vôtre !

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Commentaires
M
Excellent survol historique. Après l'entrevue sportive du précédent billet, vous démontrez maintenant des qualités de chroniqueuse-historienne que Jacques Lacoursière lui-même saurait apprécier.<br /> Quant à la crise d'Oka, ça me rappelle mon premier voyage en Europe. À mon départ, la crise était amorcée. À mon retour, 23 jours plus tard, la crise perdurait !<br /> Et tout ça pour une saleté de terrain de golf...
C
Alors-là, Flavie, tu m' impressionnes !!<br /> <br /> Un retour dans le temps du 18e siècle dans le Vieux-Montréal,<br /> <br /> TRÈS INSTRUCTIF <br /> <br /> Claire
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